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12 avril 2017 - Un leader des musulmans suisses chez Erdogan

Mireille Vallette - 12 avril 2017

C’est le Tages-Anzeiger qui l’a révélé. En pleine purge et alors qu’Erdogan vise les pleins pouvoirs, Montassar BenMrad, président de Fédération des organisations islamiques de Suisse (FOIS), la plus grande du pays, s’est rendu à Istanbul pour une vaste réunion convoquée par le président de la Turquie.  

BenMrad est aussi vice-président du Conseil suisse des religions et partisan de «l’islam du juste milieu».

Sur une photo du Tagi, 120 responsables islamiques de 33 pays posent pour le 9e «conseil eurasien-islamique», en octobre dernier, à Istanbul. BenMrad est sur l’image.

Selon le journaliste Michael Meier, ce rassemblement s’est avéré être un moment de «rage présidentielle et de propagande contre le mouvement Gülen» accusé d’avoir fomenté le coup d’Etat. Les délégués ont décidé que son mouvement n’était plus reconnu comme communauté religieuse. Il a été comparé à l’État islamique et accusé d’instrumentaliser l’islam, de trahir ses valeurs morales, de poursuivre ses propres buts politiques. Pour Erdogan, Gülen représente comme l’EI, le Mal et est responsable de l'amalgame islam-terrorisme. Tous deux poursuivent selon lui le même but, la destruction de la solidarité entre musulmans. Pour l’empêcher, il faut éduquer les jeunes générations par la transmission de connaissances religieuses «saines». Les délégués ont donc décidé la création d’une plate-forme de communication attachée à l’autorité religieuse turque.

Gottfried Locher, président du Conseil suisse des religions, est inquiet que son vice-président ait participé à ce sommet alors que «les tensions en Turquie sont en train d’être importées en Suisse.». Il estime que Gülen ne peut pas être mis dans le même sac que les terroristes.

BenMrad affirme qu’il est allé à Istanbul comme représentant de la FOIS, mais aussi en tant que simple participant (sic !) et non comme délégué. Le programme du sommet devait être la lutte contre le terrorisme et c’est au cours de la rencontre que la condamnation de Gülen a pris plus d’importance. La déclaration n’a pas été soumise à un vote. BenMrad pense que l’EI et Gülen ne sont pas à mettre sur le même plan et ne peut pas juger du rôle de Gülen dans la tentative de coup d’État. En ce qui concerne la politique internationale, il souhaite rester neutre et ne veut donc pas s’exprimer au sujet d’Erdogan et de son référendum.

Les associations musulmanes de Suisse ne veulent pas commenter la participation de BenMrad au sommet d’octobre, ni les événements en Turquie. Mustafa Yildiz qui fait partie de la Fondation turque-islamique pour la Suisse (TISS ou Diyanet Suisse): «Nous sommes une association religieuse et ne prenons pas position sur la politique.».

Il se murmure que le départ récent de deux employées de la fondation était lié à leur proximité avec Gülen. Yildiz dément. C’étaient des licenciements économiques. L’une d’elles, Dilek Ucak-Ekinci, membre du Bureau zurichois des étrangers et du Conseil consultatif du Centre suisse islam et société de Fribourg, déclare que l’orientation de la TISS ne lui plaisait plus. Elle n’a pas voulu en dire plus.

D’après Philippe Dätwyler, expert pour le dialogue interreligieux de l’Eglise réformée de Zurich, de nombreux musulmans de Suisse sont fascinés par le président turc, le voyant comme un homme fort. Dätwyler estime même que la majorité des 300 associations-mosquées de la Suisse ont de la sympathie pour Erdogan et sa réforme constitutionnelle. Les mosquées conservatrices albanaises seraient elles aussi proches du président turc. Rehan Neziri, porte-parole de l’Union des imams albanais de Suisse (UAIS), déclare que les associations religieuses suisses ne font pas de politique.

La deuxième organisation faîtière albanaise passe pour plus libérale que l’UAIS. Présidée par l’imam Mustafa Memeti, elle a quitté la FOIS il y a deux ans à l’arrivée de BenMrad. Memeti est gêné par ce président qui n’est ni un théologien ni un religieux, mais un manager. Il considère que les associations comme la FOIS poursuivent des buts politiques et ne sont pas capables de donner des réponses aux questions des musulmans en Suisse.

La Suisse compte environ 50 mosquées gérées par Diyanet et 36 imams payés par la Turquie.

ANALYSE L’Autriche et sa lutte contre la radicalisation

L’Autriche a su prendre des mesures strictes 

L’Autriche s’est dotée d’une Loi sur l’islam en 2015. Elle avait fait couler beaucoup d’encre et de salive lors de son adoption, notamment dans certains pays de l’UE, Vienne étant accusée de faire le jeu du populisme et de stigmatiser les musulmans. Il faut dire que le Chancelier Sebastian Kurz, chef du Österreichische Volkspartei (ÖVP), conservateur, étant alors allié du Parti de la liberté (FPÖ), qualifié d’extrême-droite, ceci expliquait cela. Six ans après, cette loi ne fait plus la une de la presse occidentale, les accusations à son égard s’étant révélées sans fondement. Ce texte pondéré a pour but de fixer les droits et obligations des musulmans dans une société démocratique, ni plus, ni moins, et elle a clarifié bien des choses. Elle exige des étrangers de confession musulmane venus s’établir en Autriche «une attitude positive envers l’Etat et la société». Voilà qui devrait aller de soi.

Le 2 novembre 2020 un ressortissant de Macédoine du Nord, naturalisé autrichien, commet un attentat qui coûte la vie à 4 personnes et en blesse 15 autres. Le chancelier Sebastian Kurz annonce le 11 novembre des mesures strictes contre les djihadistes se trouvant en Autriche :

- Surveillance électronique
- Renforcement des outils permettant de déchoir de la nationalité autrichienne les individus condamnés pour terrorisme et détenant la nationalité d’un pays tiers
- Retrait de certaines aides sociales ainsi que du permis de conduire...