Riad Sattouf, L’Arabe du futur - une jeunesse au Moyen-Orient. Editions Allary 

Tomes 1 (1978-1984), 2 (1984–1985), 3 (1985–1987), parus entre 2014 et 2016

Cette bande dessinée autobiographique décrit sans fard la Libye et la Syrie des années 1980, avec une foule de détails concrets comme seuls les enfants les remarquent. 

Bringuebalé entre la Bretagne et (surtout) le Moyen Orient, le petit Riad est promis à un grand destin aux yeux de son père syrien. Il sera l’Arabe du futur, celui qui va contribuer à la revanche du monde arabe sur l’Occident. 

Mais ses préoccupations sont celles d’un enfant de trois à dix ans. Georges Brassens est-il un dieu ? Y a-t-il des bananes à profusion au paradis ? Les juifs ont-ils un zizi coupé ? (réponse unanime chez les enfants musulmans : non, car les juifs ne peuvent pas être comme nous).

Il apprend la vie dans un monde où les sourires cachent souvent la détresse ou l’hostilité et où le mépris et l’insulte tiennent une place de choix. « Yehoudi » (« Juif »),  en est une ; c’est le premier mot d’arabe qu’il apprend puisque les autres enfants le lui lancent, intrigués par ses cheveux blonds. L’amitié désintéressée, l’humanité éclosent rarement dans ce désert affectif.

Riad observe. Le copain au milliard de cheveux, la grand-mère syrienne  (« Dès qu’elle se savait observée, elle regardait dans le vague »), les adultes qui luttent au quotidien pour une place dans la file d’attente ou pour un logement, les femmes de la famille qui mangent les restes laissés par les hommes, les élèves terrorisés par les châtiments, le chiot tué par un groupe de gamins, l’enfant fou depuis la mort de son père, la gentille cousine Leila étouffée sous un oreiller par sa propre famille, les pendus sur une place à Homs.

Il décrit des situations tantôt cocasses (comme lorsque sa mère française lit pour la radio des textes de propagande antioccidentale grotesque), tantôt choquantes. Son père, pris d’une ferveur religieuse tardive sous la pression de sa famille, le fait circoncire sans anesthésie, à neuf ans. En Syrie, il apprend à lire sous la houlette d’une institutrice sadique, tente de faire le ramadan par 45 degrés, s’aperçoit que les autres enfants lisent eux aussi le Coran sans le comprendre (mais ne l'admettraient pour rien au monde), découvre que regarder Conan le Barbare est « interdit par le sacré » parce que le film montre des personnes dénudées.

Riad voit et sent les choses, et les mots viennent à l’esprit du lecteur : crime d’honneur, superstition, antisémitisme obsessionnel, christianophobie, misogynie, racisme, corruption, mensonge, cruauté… Le propos du talentueux Riad Sattouf n’est pas spécialement politique, mais cette bande dessinée est de nature à ouvrir bien des yeux sur deux évidences : les Moyen-Orientaux sont des humains comme les autres, potentiellement fragiles et malléables. Et une société où tous se soumettent à l’islam devient - ou ne peut que rester - l’enfer sur terre.

NB : un universitaire soucieux d'entretenir le mythe de l’islam de paix et d’amour a reproché à Riad Sattouf de renforcer certains « préjugés » sur le monde arabo-musulman. Nous verrons fin août 2018, à la sortie du quatrième tome, si l’auteur a su résister à ce genre de pressions.

Jeannine